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Mycobacterium leprae, le pirate génétique !

Il était une fois un bacille reprogrammant les cellules de son hôte…

La lèpre est une maladie infectieuse chronique dont les premières descriptions remontent à l’Antiquité. Entrainant de nombreuses lésions nerveuses et cutanées, cette pathologie a été et reste aujourd’hui un fléau marqué par la stigmatisation et l’exclusion. Bien que disparue en Europe, son incidence reste forte en zone tropicale avec près de 200 000 nouveaux cas chaque année.

La responsable de ce fléau ? La bactérie Mycobacterium leprae, identifiée en 1873, en Norvège, par Gerhard Armauer Hansen.

Ce bacille particulier qui a pour principal réservoir l’Homme, a perdu plus de 2000 gènes au cours de son évolution. La perte de voies métaboliques entières dont le catabolisme des acides gras et la synthèse de l’enveloppe et du flagelle, explique son caractère strictement intracellulaire, sa niche cellulaire très limitée, la nécessité de l’hôte pour sa survie, et sa croissance la plus lente du monde bactérien. Il faut en effet compter 12 à 20 jours pour que M. leprae se duplique chez l’Homme !

Sa culture n’est pas possible in vitro mais peut être réalisée dans les coussinets plantaires de souris qui ont constitué le modèle expérimental de choix pour son étude depuis 1960. C’est d’ailleurs à partir de ce modèle qu’en 2013, l’équipe d’Anura Rambukkana de l’université d’Edimbourg à découvert comment la bactérie se répandait dans l’organisme.

C’est en partant du fait que M. leprae infecte préférentiellement les cellules de Schwann responsables de la myélinisation des axones, que l’équipe a infecté puis réinjecté ces cellules aux rongeurs. Quelle ne fut pas la surprise des chercheurs lorsqu’ils ont découvert que ces dernières avaient été transformées en cellules souches et avaient migré dans d’autres tissus ! Mais comment cela est-il possible ?  

Après colonisation des cellules de Schwann, M. leprae met en place une fine stratégie pour infecter tout l’organisme. La bactérie éteint progressivement les gènes associés à la lignée cellulaire Schwann et active de nombreux gènes caractéristiques du stade indifférencié. Une telle reprogrammation, associée à des modifications épigénétiques, conduisent à la perte de spécialisation des cellules qui retournent alors à un stade immature.  

Ces cellules, aux propriétés migratoires et immunomodulatrices, vont alors permettre la dissémination bactérienne par deux mécanismes distincts.

Le premier conduit à la transmission passive de l’infection à d’autres tissus, grâce à la migration des cellules dans l’organisme et à leur différenciation spontanée en cellules mésenchymateuses. Ces dernières peuvent ainsi fusionner avec les tissus musculaires et y délivrer leur cargaison.

Le second repose sur la sécrétion de chimioattracteurs par les cellules infectées durant leur transit, attirant des macrophages qui vont les phagocyter. On assiste ensuite à une libération de macrophages chargés de bactéries, sources secondaires d’expansion et de dissémination de l’infection dans l’organisme à grande échelle.

Cette fabuleuse découverte fait entrevoir la possibilité d’un diagnostic plus précoce de la pathologie via la détection de marqueurs moléculaires caractéristiques des cellules souches.

De plus, ce lien inattendu entre reprogrammation cellulaire et interaction hôte-pathogène permet d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques pour combattre cette infection, et constitue une source prometteuse de perspectives en médecine régénérative faisant appel à la plasticité cellulaire.