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Mais qui a tué le bicorne ?

Il était une fois Helicobacter pylori, un bacille à Gram négatif responsable de la majorité des cancers de l’estomac, et dont la fine stratégie invasive vint à bout d’un autre stratège, l’Empereur Napoléon Bonaparte.

Revenons sur le mode opératoire subtil mis en place par cette bactérie mobile pour s’immiscer dans l’appareil digestif humain et jouer un rôle majeur dans le développement des ulcères et des tumeurs de l’estomac.

Pathogène de l’Homme, H. pylori colonise la paroi interne de l’estomac où il se niche. Sa forme hélicoïdale et ses flagelles lui permettent en effet de se « glisser » à travers le mucus stomacal et de s’ancrer aux cellules épithéliales à l’aide d’adhésines. Sensible à l’environnement acide, il sécrète alors une uréase qui va transformer l’urée locale en ammoniaque, neutralisant ainsi partiellement l’acidité gastrique. Malheureusement, l’ammoniaque est toxique pour les cellules épithéliales, et va, de concert avec d’autres molécules sécrétées par la bactérie, endommager leur surface. En outre, certaines souches possèdent l’îlot de pathogénicité caG qui code pour la protéine cytotoxique CagA et un système de sécrétion responsable de la translocation de cette protéine dans les cellules gastriques. Il en résulte l’apparition d’une inflammation chronique, appelée gastrite, qui persiste tant que la bactérie est présente. Avec le temps, l’infection peut évoluer vers des troubles digestifs puis un ulcère, et plus rarement vers un cancer de l’estomac.

La colonisation de l’estomac par H. pylori est fréquente puisque qu’elle touche près de la moitié de la population générale. Elle intervient durant l’enfance où la transmission de la bactérie se fait principalement par voie oro-orale, généralement entre parents et enfants ou entre frères et sœurs. Néanmoins, malgré une incidence importante, la gastrite passe généralement inaperçue. On dit alors que cette infection est asymptomatique. Ainsi, seulement 10% des personnes infectées développeront un ulcère et 1% développera un cancer de l’estomac.

Parmi les victimes potentielles d’H. pylori, l’une des plus renommée est l’Empereur Napoléon Bonaparte. Décédé le 5 mai 1821 à l’âge de 51 ans sur l’île de Sainte-Hélène, les résultats de son autopsie 4 jours plus tard ont confirmé que l’ajaccien d’origine était mort d’un cancer de l’estomac. Les rapports d’autopsie rédigés par le médecin personnel de l’Empereur, Francesco Antommarchi, et des médecins anglais, font états d’une « lésion ulcérée » aux « bords irréguliers » de plus de dix centimètres de longueur dans sa paroi stomacale. En 2005, des pathologistes affirment dans la revue scientifique Nature Clinical Pratice Gastroenterology and Hepatology que l’anémie dont souffrait l’Empereur a été causée par une hémorragie gastro-intestinale associée à une gastrite chronique dû à H. pylori, favorisée par une alimentation conservée dans le sel, ainsi qu’à une prédisposition génétique.

Avant la découverte accidentelle d’H. pylori et de son rôle dans l’ulcère gastrique par les chercheurs australiens J. Robin Warren et Barry J. Marshall en 1982, cette inflammation était considérée comme la conséquence d’un mode de vie et du stress. Les ulcères stomacaux étaient alors soignés par des médicaments qui neutralisaient l’acidité stomacale, ou diminuaient sa production. Bien que ces thérapies donnaient de bons résultats, les ulcères réapparaissaient très souvent. Depuis, l’implication d’H. pylori a été démontrée dans 90% des ulcères duodénaux et 80% des ulcères de l’estomac. Une antibiothérapie adaptée permet alors d’éradiquer la bactérie, de guérir la pathologie et d’éviter les rechutes. Cette découverte fut récompensée du prix Nobel de médecine en 2005 et permit pour la première fois de démontrer le rôle d’une bactérie dans un processus cancéreux.

Cependant, les idées fausses ont la vie dure et, dans le langage courant, on continuera sans doute encore longtemps à dire à quelqu’un d’angoissé ou stressé : « Attention à ton ulcère ! »