making microbiology easy

Voyage dans les profondeurs de nos origines

Il était une fois les archées d’Asgard, véritables fossiles vivants renfermant certainement les secrets de l’eucaryogenèse.

Au milieu du XXe siècle, la classification du vivant est dichotomique : d’un côté les organismes eucaryotes, formés de cellules à noyau, et de l’autre les cellules procaryotes, sans noyau, représentées par les bactéries et archéobactéries. Cependant, la fin des années 1970 marque une profonde coupure au sein du monde procaryote, grâce aux travaux de Carl Woese basés sur l’analyse comparative de l’ARN ribosomique. Les archéobactéries, longtemps considérées comme des bactéries extrêmophiles particulières, n’appartiennent finalement pas au monde bactérien et constituent un troisième groupe d’êtres vivants. Intrigués par ces cellules renommées archées, les scientifiques s’évertuent depuis à comprendre leur origine et à établir des scénarii d’évolution du vivant en étudiant leur génome.

C’est ainsi qu’en 2015, l’équipe de Thijs Ettema de l’université d’Uppsala, séquence le génome d’une lignée d’archées issues de sédiments de sources hydrothermales sous-marines de l’Atlantique norvégien appartenant au site « château de Loki » qui fait référence au dieu nordique de la discorde. En 2017, les mêmes auteurs décrivent le génome de nouvelles archées apparentées aux Lokiarchées et auxquelles ils attribuent également des noms dérivés de dieux nordiques : Thorarchées, Odinarchées et Heimdallarchées. Fait très intéressant, l’analyse des génomes révéla la présence de plusieurs gènes que l’on pensait spécifiques aux eucaryotes, et impliqués dans des fonctions clés comme le remodelage des membranes, la formation du cytosquelette et la phagocytose. Cette mise en évidence suggéra que le potentiel génétique qui servit à développer certains caractères eucaryotes était déjà présent chez ces archées particulières.

Ces dernières, retrouvées dans de très nombreux environnements tels que des sources chaudes ou des sédiments profonds pauvres en oxygène, furent regroupées dans la famille des archées d’Asgard, nommées ainsi d’après le domaine des dieux de la mythologie nordique.

Leur caractérisation pourrait fournir des informations précieuses sur l’origine, il y a deux milliards d’années, de la lignée à laquelle nous appartenons. Cependant, personne n’avait jusque-là réussi à cultiver et à observer ces intrigantes archées, maintenant dans l’ombre leur biologie et les secrets qu’elles renferment.

C’est alors qu’en 2019, après douze années de labeur, une équipe de microbiologistes japonais, Hiroyuki Imachi et Masaru Nobu, parvint à cultiver pour la première fois des archées d’Asgard, isolées à partir de sédiments des grands fonds marins du Japon. Pendant cinq ans, un système de bioréacteur à flux continu alimenté en méthane a permis la multiplication de ces cellules fragiles à la division très lente. S’en suivirent sept années d’enrichissement progressif et de transferts, qui aboutirent à une coculture pure de la souche Candidatus Prometheoarchaeum syntrophicum (en symbiose avec Methanogenium), offrant enfin la possibilité d’étudier sa physiologie et de réaliser de nouvelles analyses génétiques. 

Parmi les découvertes clés, on put noter une morphologie complexe, possédant de longs et fins tentacules polymériques qui servent d’abri à des micro-organismes partenaires. De plus, l’analyse des signatures protéomiques et de l’expression génique montra clairement une relation phylogénétique sœur entre P. syntrophicum et cellules eucaryotes.

L’équipe japonaise a ainsi permis d’accéder à un outil précieux pour apporter de nouveaux éléments à l’eucaryogenèse, l’une des grandes questions de la biologie. Si le modèle évolutif reste à élucider, la mise en culture de P. syntrophicum laisse espérer qu’on en fera de même avec d’autres archées et que l’on pourra mieux comprendre leur place dans l’évolution du vivant.

Les archées d’Asgard n’ont pas fini de nous surprendre !