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Bactéries CanniBALO

Il était une fois des bactéries mangées par… des bactéries.

C’est en 1962, à l’Institut de bactériologie de Berlin, que le microbiologiste allemand Heinz Stolp met fortuitement en évi­dence la première espèce responsable de cannibalisme bactérien.

Cherchant à isoler des bactériophages anti-Pseudomonas, il se retrouva à court des filtres qu’il utilisait pour obtenir ses solutions phagiques et décida de les remplacer par des filtres moins fins. Après inoculation des bactéries avec les solutions et incubation des boites de Pétri, aucune plage de lyse ne fut observée. Mais Stolp conserva les boites deux jours supplémentaires et c’est alors que des plages de lyse tardives apparurent. Leur observation microscopique révéla la présence de petites bactéries incurvées se déplaçant à vive allure, s’attachant parfois à certaines bactéries… jusqu’à les détruire.

C’est ainsi que fut découverte Bdellovibrio bacteriovorus, première espèce des Bdellovibrio And Like Organisms (BALO), groupe polyphylétique de petites bactéries cannibales Gram négatif très mobiles qui assurent leur survie en chassant d’autres bactéries Gram négatif. Leur incapacité à effectuer la biosynthèse d’au moins neuf acides aminés fait d’eux des prédateurs spécifiques obligatoires.

Très largement distribués au sein de la biosphère, les BALO sont retrouvés aussi bien dans les eaux et zones humides, que dans les fèces animales et humaines.

C’est à partir des années 2000, face à l’émergence de bactéries multirésistantes aux antibiotiques, que leur étude connait un véritable essor. Le développement des technologies en génomique a permis notamment des avancées dans la connaissance de leur physiologie et de leur cycle cellulaire.   

Ce cycle débute par une phase d’attaque au cours de laquelle la bactérie non réplicative possède une forme de type vibrio, maintenue par la protéine MreB2. Son flagelle unique, composé de six types de flagelline, ainsi que trois paires de protéines de motricité MotAB, lui confèrent une grande motilité. Elle détecte alors ses proies par chimiotactisme, puis s’attache irréversiblement à leur membrane.

Ensuite, la stratégie prédatrice adoptée est soit épibiotique, soit périplasmique. Epibiotique, le prédateur reste attaché à l’enveloppe de sa proie, et la détruit tout en restant dans l’espace extracellulaire. Le cannibale se multiplie alors de façon binaire. La seconde stratégie consiste quant à elle en l’invasion de l’espace péri­plasmique de la proie via une lyse locale de l’enveloppe cellulaire. La proie constitue alors une niche protectrice et nutritionnelle pour le prédateur qui se développe sous la forme d’un long filament polynucléotidique, le bdelloplaste. Après septation, ce dernier donne naissance à plusieurs cellules individualisées. La proie est finalement lysée, libérant les prédateurs mobiles.

Ce cannibalisme au large spectre d’action et la remarquable capacité d’adaptation à l‘environnement des BALO leur confèrent un rôle primordial dans l’équilibre, la diversité et la résilience des écosystèmes.

Ces prédateurs constituent d’autre part de sérieux candidats dans la lutte antibactérienne en aquaculture, mais aussi en agriculture et en médecine.

En effet, leur incapacité à se multiplier en cultures cellulaires, associée à un faible pouvoir inflammatoire, justifie de grandes perspectives thérapeutiques. De plus, la résistance naturelle voire acquise à ces bactéries prédatrices est apparue peu fréquente. Par ailleurs, les BALO peuvent également s’attaquer aux bactéries Gram positif lorsqu’ils ont suffisamment de temps pour s’adapter à ces proies. Ils sont aussi capables de désagréger, en relation probable avec certaines protéases exocellulaires, des biofilms complexes constitués de proies mixtes. Chez l’Homme, une étude multicentrique a également révélé un net déficit de portage digestif de B. bacteriovorus, chez plusieurs types de patients atteints de la maladie de Crohn, de maladie cœliaque, ou de colite ulcé­reuse. Des travaux ont en parallèle mis en évidence l’innocuité de ces prédateurs et leur efficacité in vivo dans des modèles animaux.

Les BALO pourraient ainsi ouvrir la voie à de nouvelles approches probiotiques et antibactériennes synergiques ou alternatives aux antibiotiques.

Affaire à suivre…